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Oh, je mesurais mes paroles. Malgré l’état dans lequel je me trouvais, je les pesais bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer. Chacun d’entre eux. Et s’il ne considérait pas son acte comme suffisant pour faire de moi sont obligée, ou du moins lui être redevable, je le faisais à sa place. Il était un temps où secourir une personne de sang royal donnait lieu à bien plus. Davantage encore que la reconnaissance éternelle de la Famille. Cela pouvait revêtir toute sorte de formes, diverses et variées, de la plus simple à la plus extravagante. De la plus impalpable à la plus tangible. Cependant, il n’en restait pas moins qu’il était du choix de celui qui recevait de dire si, oui ou non, il acceptait le don qui lui était fait. L’homme en face de moi, bien que les temps aient quelque peu changés – et le fait que je n’étais encore que la princesse déchue d’un Royaume perdu – se refusait à pouvoir m’utiliser quand bon lui semblerait, sans que jamais je n’ai mon mot à dire. Soit, il n’empêchait qu’il recevrait un jour de quoi gratifier le fait qu’il venait de me sauver la vie. Je n’aurais su dire si cela viendrait d’un appui de ma part ou bien d’un karma amélioré mais tout acte charitable se voyait toujours récompenser d’une manière ou d’une autre. Au moment où, parfois, on pouvait le moins s’y attendre. Il recevrait donc, tôt ou tard, un retour pour ce qu’il venait de faire, qu’il le veuille ou non. Peu importait le temps. Et peu importait le sang en réalité, il avait sauvé une vie. Le Destin le lui rendrait. Surtout qu’il continuait de m’aider sans raison apparente. Peut-être avait-il quelques plans obscurs derrière la tête mais le fait, lui, était là. Je restais donc, comme à l’habituée, sur mes gardes mais plaçais pourtant du même coup une sorte de confiance entre ses mains. Sans réellement savoir ce qui me poussait à le faire aussi rapidement.

Il m’interrogea sur le rêve qui avait été le mien. Comme s’il pouvait y avoir dans celui-ci quelque chose d’important. Quoiqu’il en fût, il semblait tout aussi perdu que moi. Et il était vrai que la situation en aurait laissé plus d’un perplexe. A commencer par ma personne. Je me souvenais de chacune des images qui m’avaient traversée depuis que j’avais fermé les yeux entre mes draps mais rien n’avaient de sens. J’avais bravé la bora pour le retrouver. Starik. Pourtant je savais. Je savais qu’il n’était plus de ce monde. Jamais je ne l’avais réveillé et jamais personne n’aurait pu le retrouver. De plus, même sans cela, j’étais très loin de ces terres que j’avais dû quitter accomplir ma destinée.

Etait-ce un message qu’on m’envoyait ? Qu’il m’envoyait ? Mon don avait-il bien plus d’obscurités que je ne pouvais l’imaginer ? Une communication avec l’au-delà me paraissait bien peu de chose en comparaison avec le fait de faire revenir les âmes d’outre-tombe, alors pourquoi pas après tout. Cependant, si cela était bel et bien un message que pouvait-il bien vouloir signifier ? Et quel rapport avec tout ce qui venait de se passer ? L’analogie entre mes mouvements, ressentis et actes réels n’était certes pas très complexe mais la question perdurait : pourquoi ? A quelle fin ? Me tuer ? Nombreux étaient ceux dans ce monde qui aurait eu un intérêt à me voir disparaitre aussi simplement mais si un fantôme était à l’origine de tout cela, que voulait-il réellement ? Et si c’était Starik, pourquoi aurait-il voulu cela, quand il était celui qui m’avait poussé sur les sentiers que j’arpentais aujourd’hui ? C’était insensé. « Je ne saurais vraiment dire. On aurait dit que tout cela était vrai pourtant… C’est impossible... Vraiment étrange. » fis-je, la voix tremblotante, autant à cause du froid que de l’incertitude.

Ma main sur la sienne, il me releva plus qu’autre chose. Il avait dû noter que contact physique pas vraiment pour me rassurer car il garda sa main ouverte tout le long. Cela ne fut pas sans me rassurer, aussi resserrais-je davantage ma prise autour de ses doigts. Tout cela n’était certes que très léger mais c’était un pas vers l’avant. J’avais parfois l’impression d’être l’un de ces petits oiseaux fragiles qui, dès qu’ils sont serrés de trop près, cherchent à s'envoler au loin. Et je me trouvais ridicule, par moment. Pourtant tout cela trouvait une explication des plus simples. Il suffisait de s’attarder sur ce passé que je cherchais désespérément à voiler d’oubli. A mes yeux comme à ceux des autres. J’avais tout repris à zéro, ici. Je voulais échapper à ces années où je n’avais été qu’une poupée de porcelaine entre les mains d’un enfant capricieux. Et s’il avait réussi à briser quelques fragments, il ne m’avait pas détruire complètement. Il ne tarderait pas à s’en mordre les doigts, je me l’étais juré. Cependant, avant d’en arriver là, je restais très difficile à saisir. Dans tous les sens du terme certainement. Néanmoins, cet homme-ci, dont j’ignorais à peu près tout avait suffisamment d’esprits pour ne pas me brusquer, substituant la balustrade à une aide trop douloureuse pour moi à supporter. Et pour cela, bien intentionné ou non, je l’en remerciais.

Est-ce que j’allais parvenir à marcher jusqu’à l’autre bout du pont ainsi, là résidait toute la question. « Je ne le sais pas, nous verrons bien. Et merci, Richard, donc. » Je gravais son nom en moi avant de me concentrer fortement sur la marche. Mes pieds étaient si gelés que le sol me paraissait presque chaud. La circulation, elle, commençait à se faire, les fourmis dans mes pieds attestant fermement de cela. Cependant, le froid qui me parcourrait encore me faisait trembler et tous mes muscles ne me répondaient plus complètement, engourdis par la baisse de température, aussi je marchais doucement, grâce à son aide et à un rythme ridiculement lent. Le Dragon en moi ne demandait qu’à se réveiller pour me secouer un peu mais lui aussi semblait glacé, condamné à l’impassibilité pour l’instant. Et ce n’était pas plus mal. J’observais la même gratitude envers cet homme qui, lui non plus, ne me pressait en rien au contraire. Et s’il estimait que d’autres auraient agi comme lui le faisait, alors il n’imaginait pas à quel point notre société pouvait être devenue égoïste. Nombreux étaient ceux qui ne se seraient même pas arrêtés, qui n’auraient pas même tenté quoi que ce soit, et plus nombreux encore étaient ceux qui seraient déjà partis. Et puis, c’était lui qui était en train de le faire, et pas un autre, alors c’était lui que je remerciais, et personne d’autre.

Finalement arrivés après de longues et rudes minutes, il m’aida entrer et même m’installer. La galanterie avait disparue depuis bien longtemps mais elle n’en était que plus appréciable lorsqu’elle était exécutée avec autant de bienveillance. Et, à peine mon corps eut-il touché le siège, résistant malgré tout à m’écrouler - les reliquats de mon éducation obligeant -, je soupirais pourtant d’aise. La douce chaleur qui y régnait m’envahi peu à peu, me faisant quelque peu somnoler. Assise autour de cette table, j’étais bien. Sa proposition de thé était une bonne idée, oui. Il fallait que je me réchauffe de l’intérieur également, bien qu’il allait me falloir patienter que celui-ci ne tiédisse légèrement pour le boire. Ma réponse fut donc l’affirmative. « Bien volontiers, oui. » Le serveur, d’ailleurs, était déjà à notre table, l’endroit n’étant pas des plus plein par une heure tardive. Je commandais donc un Oolong, autant à cause de sa signification – Dragon noir – que pour ses biens faits pris le soir.

Lorsqu’il reparti, notre commande en main, j’avais déjà repris quelques couleurs, ou plutôt perdu de cette nuance bleutée qui était venu colorer ma peau à cause du froid. Ce n’était pas encore tout à fait ça mais il y avait une nette amélioration. « Vos parents n’ont pas manqué d’humour, en tout cas, pour vous appeler Richard sachant que votre nom est Leicester. Je marquais un petit temps avant de m’expliquer. Un Richard très célèbre y a été enterré, mais je ne dois pas vous apprendre grand-chose. A moins que vous ne soyez revenu d’entre les morts, Messire le Roi ? » J’eus ce petit rire qui me prenait lorsque j’étais fatiguée, à bout de nerfs, ou simplement lorsque je me savais la seule à pouvoir comprendre le trait d’humour que je venais de former. C’était, en effet, ici une référence à mon don mais il n’en savait rien aussi ne pouvait-il pas saisir entièrement cette petite plaisanterie. Légèrement décalée, certes, mais je l’avais toujours dit : je parlais décidément toujours trop quand le stress se faisait trop présent d’une quelconque façon que ce soit. Comme pour venir combler l’espace de réflexion. Ici, j’avais utilisé ma culture générale, en ignorait royalement à qui j’étais réellement en train de parler. Ni même ce sur quoi je mettais le doigt. « Pardon, je manque vraiment de manières. M’excusais-je, tout en essayant de remettre un peu d’ordre dans mes cheveux, son manteau toujours sur mes épaules. Vous m’avez donné votre nom mais je ne me suis pas présentée moi-même. Je suis Katarzyna Bolkonskaïa, enchantée. Le gratifiant d’un sourire difficile mais néanmoins sincère, je poursuivais. Mais vous pouvez vous aussi m’appeler Katya, mon nom est assez imprononçable pour la plupart des gens. » En effet, cela n’avait pas été l’un des points primordiaux sur lequel j’avais pu m’attarder quand j’avais dû me trouvé un nouveau nom. Sur le vif. S’agissant pourtant là de mon second prénom, j’avais ainsi été quasi-certaine de pouvoir y répondre de manière automatique. Maria aurait sans aucun doute été plus simple pour lui à prononcer, mais je ne répondais plus à ce prénom depuis longtemps. Maria était morte. Emportant avec elle le passé que je cherchais tant à éviter et que, pourtant, je poursuivais. C’était là toute l’ironie de ma vie.